Interview de Rémi Lucas et Otto T.
Le Coup de boule est parti tout seul est paru le 17 février 2021 aux éditions Flblb. Les deux auteurs reviennent sur la genèse de cette comédie politique en Bande dessinée qui est aussi leur première collaboration en duo scénariste / dessinateur. Du quotidien d’un prof de collège au bénévolat sur un camp de migrants, ce Coup de boule n’est pas parti de nulle part….
Généalogie d’un coup de boule : d’où est parti ce livre ?
Rémi Lucas : D’une page que j’avais dessinée puis laissée de côté et que j’ai ressortie pour servir de point de départ à ce récit. Au final elle n’est pas dans le livre, c’est une page où Henri arrive au collège avec sa voiture taguée.
Je l’avais dessinée librement, dans l’idée de construire une histoire qui prendrait comme décor le collège où je travaille mais dans laquelle tous les personnages seraient fictifs, voire bizarres. J’avais dans l’idée que certains personnels du collège seraient des animaux. Mais ce vague projet est restée en plan pendant plusieurs semaines. Quand Grégory (Jarry) m’a mis au défi de réaliser un livre improvisé en lui envoyant une page par jour, j’ai ressorti celle-là et le soir même il avait sa première page et moi fallait que je me débrouille pour élaborer la suite.
Le coup de boule… est le neuvième livre de Rémi Lucas, mais c’est le premier qui n’a pas été dessiné par Rémi Lucas. Pourquoi ce changement ?
Otto T. : Rémi a tenu ce rythme quotidien pendant un peu plus de 6 mois. Au bout d’environ 200 pages, il avait un scénario qui se tenait, mais il n’avait plus le courage de réaliser le livre. Moi je n’avais pas de gros projet à ce moment-là donc on a eu l’idée que je le dessine. Je trouvais ça marrant, car on n’avait jamais bossé ensemble de cette façon, je n’avais jamais travaillé avec un autre scénariste que Grégory.
Rémi Lucas : Pour être exact, j’ai envoyé 183 pages au total, soit 183 jours. Le nombre de pages n’étaient pas prémédité mais un jour j’ai dit à Grégory : « Bon, je crois que c’est fini. » et la fin n’a pas été retouchée. Très peu de choses l’ont été d’ailleurs. Le récit est improvisé mais un miracle a fait que tout se tenait bien. Moi, je pensais évidemment que j’allais le dessiner mais un jour en blaguant j’ai dit à Grégory : « Il faudrait trouver quelqu’un pour le dessiner maintenant… » L’idée a fait son chemin et Thomas s’est montré enthousiaste pour le faire. Ça m’a fait drôle au début mais j’étais en pleine confiance et j’aimais bien cette mise à distance que ça allait impliquer. Thomas a par exemple totalement bouleversé l’autonomie des pages, de 183 on est passé à 240, ce qui fait que les gags et les suspens de fin de pages sont intégrés à l’intérieur d’un récit plus fluide. Et puis ça remet en question certaines habitudes. En fait, on fait du jazz.
Vous avez tous deux été fondateurs de la revue Flblb, dans laquelle il y avait des duos scénariste-dessinateur-rice divers et parfois sous pseudo… Vous aviez déjà travaillé ensemble ?
Otto T. : Ce qu’on a beaucoup fait Rémi et moi, parfois avec Grégory, c’était des BD à plusieurs, genre cadavre exquis, avec différents types de contraintes, on n’avait jamais travaillé comme scénariste-dessinateur.
Rémi Lucas : Je me souviens d’une sorte de cadavre-exquis à trous qu’on avait fait pour la revue. Il était question d’un meurtre et le défi pour l’un des deux dessinateurs c’était de mener le récit en essayant de démasquer l’assassin que seul le premier connaissait. C’est marrant parce qu’ici aussi, ça commence par une énigme : qui a tagué la voiture du prof de français ? Même si après on part vers complètement autre chose.
On a fait pas mal de petit trucs bricolés à deux depuis la création du fanzine Flblb, parfois à trois avec Grégory ou à plus sur les journaux Blue Salt, par exemple, où les dessins et les textes n’étaient pas signés tant il s’agissait d’un travail collectif. Je me souviens d’idées de dessins que je n’arrivais pas à réaliser et que je filais à Thomas qui a un don de synthétisation que j’ai toujours admiré.
Le choix de la mise en couleur est venu comment ?
Otto T. : J’étais parti pour réaliser le livre juste au trait noir et puis assez vite j’ai eu envie d’une bichromie, mais mes premiers essais n’étaient pas satisfaisant. C’est Robin Cousin qui a suggéré que je mette en couleur de la même façon que les bandes dessinées que je fais tout seul, en enlevant les bords des case et en mettant un carré d’aquarelle en fond, sur laquelle les personnages se détachent en blanc.
Ça marche plutôt bien je crois, enfin j’aime bien l’idée d’enlever les bords des cases, ça donne un dessin encore plus épuré. Et puis au final ce n’est plus tout à fait une bichromie, car la couleur de fond change selon les scènes.
Rémi Lucas : Je crois que c’est moi qui ai un peu insisté pour que la couleur change en fonction des scènes. C’est quelque chose qui a déjà été fait pour d’autres livres à FLBLB et que j’avais déjà mis en pratique dans mes vidéos. Ça rappelle les pellicules teintée des films muets avec une couleur par ambiance.
À quoi pensiez-vous en écrivant et dessinant ce livre ? au quotidien ? aux infos ? à des films ?
Rémi Lucas : Au moment où j’esquissais chaque soir ma page (d’ailleurs je prenais parfois de l’avance pour ne pas être pris de court les fois où je n’avais pas le temps de la dessiner), je crois que mon souci principal, c’était d’essayer de faire rire Grégory qui lisait tout au fur et à mesure. Quelques fois, il réagissait par une remarque ou une blague qu’il m’arrivait de replacer ou de détourner. Je me demande si l’idée des cours de savate ne vient pas de lui d’ailleurs…
Otto T. : Entre le moment où Rémi a écrit le scénario et le moment de la publication il s’est passé trois ans. Entretemps, j’ai fait un livre avec Grégory, et divers autres boulots, et je revenais au « Coup de boule » dès que c’était possible.
Je sentais que Rémi trépignait, je pense qu’il appréhendait que son histoire ne soit plus en phase avec l’actualité. D’ailleurs durant ces trois ans, il y a réellement eu de faux attentats organisés dans des collèges. Au final, je trouve que ce temps long n’a pas desservi le livre : on a pris le temps de peaufiner l’édition, et puis j’ai un peu l’impression que l’actualité tourne en boucle.
On perçoit dans cette histoire qu’un au moins des auteurs a une bonne expérience du bénévolat, qui est raconté avec des détails aussi savoureux que réalistes. Rémi Lucas est-il vraiment allé chercher du linge sale dans une église ? Ou Otto T. ?
Rémi Lucas : C’est Valérie, ma compagne, qui était bénévole dans une association d’aide aux migrants. Elle avait proposé notamment de laver du linge pour les réfugiés. Comme le collège où je travaille n’était pas loin du camp et surtout de l’ancien presbytère qu’occupait l’association, j’ai été deux ou trois fois chercher du linge qu’on lavait à la maison et que je rapportais ensuite. C’était juste à côté de l’église. Valérie a également donné quelques cours de Français à certains migrants. On se rendait régulièrement dans deux camps, dont un tout petit, pas très loin de chez nous. Beaucoup de gags et d’absurdités du livre découlent de situations réelles, parfois vraiment pas drôles.
Otto T. : C’est une dimension importante du récit, oui. L’action des associations et de leurs bénévoles est essentielle pour l’accueil des migrants. Plus largement je trouve ça important d’évoquer la vie associative dans une fiction, car c’est un aspect incontournable de notre existence. En France à peu près tout le monde fait partie d’une ou plusieurs associations, la plupart du temps comme simple adhérent, parfois comme bénévole ou comme administrateur, c’est parfois chouette, parfois conflictuel, et j’ai le sentiment que ce n’est pas assez montré dans les livres ou les films.
Mais je n’ai jamais livré de linge dans une église non.
Est-ce qu’il y a des blagues auxquelles vous avez renoncé ?
Otto T. : Il y a une blague que Rémi a accepté de retirer à ma demande : dans le livre il y a un bout de dialogue qu’il a piqué d’un film, et dans le scénario original l’auteur du film interrompait aussitôt le fil de l’histoire en disant « Ah non, ça vous me l’avez piqué », mais je trouvais que ça nous sortait du récit. Aux lecteurs de deviner de quel dialogue et de quel film il s’agit.
Rémi Lucas : J’aimais bien cet aparté, ça me faisait penser à du Tezuka. Mais cela fait partie des blagues dont on est pas sûr et qu’on est prêt à sacrifier.
Est-ce qu’il y a une liste de ras-le-bol qui auraient mérité de se retrouver dans l’histoire mais n’y sont pas faute de place ? Ou parce qu’il n’y avait pas moyen de faire quelque chose de drôle avec ?
Rémi Lucas : Moi, j’ai l’impression qu’on pourrait être drôle avec tout. Le monde actuel est tellement grotesque ! Mais c’est parfois délicat de trouver le bon ton.
Qu’est-ce qui vous a fait le plus rire en réalisant ce livre ?
Rémi Lucas : Ce qui m’a surtout fait rire, c’est de voir comment Thomas dessinait Valérie qui, je trouve, est physiquement assez différente dans la vie. Mais après tout, ce n’est qu’un personnage.
Otto T. : Haha, c’est marrant parce que je trouve que quand c’est Rémi qui la dessine, Valérie est un personnage très anguleux (nez pointu, lunettes triangulaires, mèches de cheveux pointues), et moi quand je vois Valérie en vrai je me dis « Mais non, il se trompe : elle a des joues rondes, un nez rond, un menton rond, des cheveux frisés ».
Rémi Lucas : Ah oui, c’est vrai mais quand même la coiffure, c’est pas du tout ça !
Otto T. : Sinon je n’ai pas vraiment rigolé en réalisant le livre, plutôt en lisant le scénario de Rémi. Le personnage que je trouve le plus drôle c’est Henri le collègue de Rémi. Je me demande s’il existe dans la vraie vie.
Rémi Lucas : Non, il n’existe pas. En dehors de Valérie, les enfants et moi, tous les personnages sont plus ou moins inventés même si la réalité n’est jamais bien loin.